Peu de temps après son installation à Vienne en 1781,
Wolfgang Mozart fréquente assidument les soirées organisées par le baron
van Swieten. Ce dernier, amateur éclairé, chargé d’affaires impériales à la cour de Prusse de 1770 à 1777, a rapporté de son séjour en Allemagne du nord le goût de la musique des maîtres anciens et tout particulièrement de celle de
Jean Sébastien Bach et Georg Friedrich Haendel. Wilhelm Friedmann Bach et Carl Philip Emmanuel Bach sont également très appréciés par le baron.
Jean Sébastien Bach était peu connu à cette époque et les partitions disponibles étaient rares.
Mozart eut ainsi accès à quelques fugues du second livre du clavecin bien tempéré, à des extraits de
l’Art de la Fugue, à des sonates en trio pour orgue et à l'
Offrande musicale. Il va ainsi transcrire pour quatuor à cordes cinq fugues K1 405 issues de ces ouvrages. On attribue également à Mozart 4 pièces pour trio à cordes servant de préludes à des fugues de Jean Sémastien et Wilhelm Friedmann Bach K 404a. Par contre la bibliothèque du baron ne contenait aucune des
Passions ni la
messe en si mineur. Il faudra attendre les romantiques et surtout Felix Mendelssohn pour que ces chefs-d’oeuvre colossaux soient connus et exécutés.
Comme Constance aime bien les fugues,
Mozart commence donc un nombre élevé de fugues. Curieusement la plupart de ces oeuvres restent inachevées (1). En fait il s'agit d'oeuvres expérimentales permettant à Wolfgang d’acquérir l'expérience du contrepoint. Ce but étant atteint, Mozart s'attellera alors à des oeuvres plus ambitieuses notamment la messe en ut mineur K 427 qui contient deux grandes fugues et surtout des doubles choeurs magnifiques (
Kyrie eleison et
Qui tollis peccata mundi) .
Mozart ne semble pas toujours à l'aise dans l'exercice de la fugue, ces dernières ont souvent une allure archaïque. Le Padre Martini (1706-1784), professeur de contrepoint de Wolfgang à Bologne en 1770, avait déjà critiqué à mots couverts le jeune Wolfgang âgé alors de 14 ans. Quand Wolfgang soumet au Padre en 1774 son Offertoire en ré mineur K1 221, écrit en style sévère, il reçoit une approbation polie. Le cadre trop strict du genre musical de la fugue ne permet probablement pas au génie de
Mozart de s'épanouir. Il y a cependant des exceptions,
l’adagio et fugue pour orchestre à cordes en ut mineur K1 548 et la
fantaisie pour orgue en fa mineur K1 610 sont des réussites absolues.
Par contre
Joseph Haydn saura s'affranchir du cadre de la polyphonie stricte et mettre dans les fugues de
la Création et des
Saisons, oratorios composés à l'instigation du baron
van Swieten, un caractère vivant, grandiose et même épique.
Il est vrai que son cas est bien différent de celui de Mozart. Quand il nait en 1732, le style baroque est à son apogée,
Jean Sébastien Bach a écrit ses Passions (
Saint Jean 1724, Saint Matthieu 1729) tandis que Georg Friedriech Haendel s’apprête à composer ses grands oratorios bibliques (un des premiers,
Deborah date de 1733). La légende veut que le petit
Haydn âgé de neuf ans assista aux funérailles de Vivaldi en 1741, de plus, point plus important, il fut l’élève de Nicola Porpora dans les années 1753 et apprit de ce dernier à composer pour la voix. Le terreau d’où Haydn tire ses forces est donc essentiellement baroque au départ. Le contrepoint et la fugue sont chez lui des modes d’expression tout à fait naturels comme en témoignent ses magistrales messes
Sainte Cécile HobXXII.5 (1768) et en mi bémol majeur
in honorem Beatissimae Virginis Mariae HobXXII.4 (1766-
.
Au courant des années 1760,
Joseph Haydn fut l’objet d’attaques virulentes de la part de critiques d’Allemagne du nord qui, à propos de ses symphonies contemporaines et tout particulièrement sa
symphonie n° 29 en mi majeur datant de 1765, lui reprochaient un style facile, voire frivole (2). Ces critiques sont très surprenantes car Haydn utilisa, dans ses symphonies et ses trios pour baryton, alto et violoncelle, le contrepoint comme en témoignent plusieurs finales fugués (symphonies n° 3, 12 et 40) (3). Certes les références à Giovanni Battista Martini ou au contrepointiste Johann Joseph Fux (1660-1741) ne pouvaient satisfaire les censeurs d’Allemagne du nord vivant dans la nostalgie du style, à leurs yeux, infiniment plus haut de
Jean Sébastien Bach. Dans ces conditions on peut imaginer que Haydn écrivit en 1772 ses flamboyantes fugues à deux, trois ou quatre sujets des quatuors n° 2 en ut majeur, n° 5 en fa mineur et 6 en la majeur, faisant partie des quatuors de l’opus 20, en réaction à ces critiques. Ces dernières visiblement l’agaçaient et il tenait à montrer ce qu’il savait faire (2). Le but fut pleinement atteint car ces fugues sont à la fois extrêmement savantes et d’une grande musicalité.
Bien plus tard, en 1795,
Haydn composa un trio pour piano, violon et violoncelle en mi majeur HobXV.28 dont l’allegretto central en mi mineur est un magnifique hommage à
Jean Sébastien Bach, on pense au début au mouvement lent du concerto italien BWV 971 de ce dernier. Toutefois ce morceau n’est en rien un pastiche, Haydn s’approprie le style ancien pour bâtir une musique neuve et originale.
(1) Un enregistrement très complet d’esquisses et oeuvres inachevées de Mozart est disponible: Wolfgang Mozart, Duo Crommelynck, fragments and unfinished Works for piano.
(2) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.
(3) https://haydn.aforumfree.com/t344-symphonies-n-14-et-n-40-deux-merveilles