Un crescendo de profondeur et d'intensité était observable au fur et à mesure que l'on progressait dans la série des sonates (HobXVI.21-26) publiées en 1774. Il en est de même dans le groupe des six sonates (HobXVI.27-32) publiées en 1778 car la sonate n° 47 en si mineur HobXVI.32, dernière de la série, est indiscutablement la plus remarquable des six et peut-être une des plus belles de Haydn.
Si on admet que la date de sa composition est 1776 (1), la sonate en si mineur se situe dans un environnement plutôt "galant", vu les oeuvres composéees par Haydn à cette époque: les opéras l'Incontro improviso (1775), Il Mondo della Luna (1776), le magnifique oratorio "Il Ritorno di Tobia", les symphonies (énumérées dans l'ordre probable de leur composition) n° 68 en si bémol, n° 69 (Laudon) en ut, la remarquable n° 61 en ré, la n°63 (Roxolane) en ut, la n°53 (L'Impériale) en ré (1), symphonies dans lesquelles l'esprit de l'opéra bouffe est très présent.
La sonate en si mineur contraste vigoureusement avec cet environnement musical car c'est une des oeuvres les plus passionnées et véhémentes de Haydn. Comme dans beaucoup d'oeuvres antérieures de la période "Sturm und Drang" (1766-72), le mode mineur est maintenu du début à la fin nonobstant la courte interruption du menuet central en si majeur. La plupart des oeuvres écrites ultérieurement dans le mode mineur ne maintiennent pas le mode mineur jusqu'à la fin; par exemple le finale de la 80ème symphonie en ré mineur (1784) est en ré majeur.
Le thème de l'Allegro moderato initial est très original, il comporte deux parties: à la première phrase forte affirmant énergiquement deux blanches suivies de doubles croches pointées, répond piano une mélodie très expressive. Le développement, très dramatique, est entièrement basé sur le thème, d'abord sur sa première partie en entier puis sur les seules doubles croches pointées qui donnent lieu à une page pleine de fantaisie, remplie de modulations pathétiques. La réexposition est semblable à l'exposition mis à part les transpositions dans le ton relatif mineur. Le mode mineur se maintient ensuite jusqu'au dernier accord. La rigueur et la concentration de ces pages bâties sur un matériel thématique restreint mais de grande qualité sont une source d'émerveillement.
Le menuetto en si majeur est un îlot de sérénité interrompu par un trio dramatique. La sobriété de l'accompagnement est une fois de plus frappante.
Le Finale Presto est indubitablement le point culminant de l'oeuvre. Il est entièrement bâti sur un rythme obstinément martelé aux deux mains de l'exécutant. Dans ce morceau presque athématique, aux unissons sauvages, aux rythmes implacables, aux ostinatos incessants, le pianoforte n'est plus le véhicule de belles mélodies chantantes mais est traité pratiquement comme un instrument de percussion.
(1) Marc Vignal, Joseph Haydn, Fayard, 1988.